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Mathieu, Xavier : Antonio de La Gandara. Un témoin de la Belle Époque, 1861-1917. 296 p., 240 x 320, 350 illustrations dont 150 en couleurs, ISBN 978-2-35404-021-5, 49,00 €
(Editions Illustria - Librairie des Musées, Deauville 2011)


Compte rendu par Damien Delille, Institut national d’histoire de l’art, Paris (damien.delille@inha.fr)

Dans cette première monographie consacrée à l’artiste d’origine mexico-espagnole Antonio de La Gandara, son auteur Xavier Mathieu livre un précieux outil pour mieux comprendre un artiste qualifié dès son époque de « mondain ». La précision documentaire et l’abondante iconographie permettent d’apprécier une production largement dominée par le portrait de commande, qui est restée dans les collections privées. L’ouvrage livre ainsi une galerie de portraits encore inconnus, tout en réhabilitant une période qui est actuellement redécouverte par une histoire de l’art débarrassée de ses « tics » historiographiques. Sur ce point, l’entreprise de l’auteur mérite toute notre attention.


Un contraste éditorial nous frappe cependant dès la première page. Faisant suite à une très bonne reproduction d’un autoportrait à la mine de plomb issu d’une collection privée belge, aux qualités graphiques proches de contemporains symbolistes comme Point ou Levy-Dhurmer, on peut lire une préface approximative de Jean-Louis Debré, président du conseil constitutionnel. Ce contraste se retrouve tout au long de cette monographie écrite par un descendant de l’artiste, Xavier Mathieu, par ailleurs membre de la Société de l’histoire de l’art français. Les chapitres suivent les classiques « vie et œuvre » de l’artiste, meilleur moyen d’appréhender un réseau de sociabilité ayant fortement marqué la production de La Gandara : ses « débuts », sa vie « Entre mondanités et vie de famille », ses différents « Atelier(s) », « L’art du peintre », « Les honneurs, les gloires et la disparition » et enfin, un « épilogue » témoignant des envies romanesques de Xavier Mathieu. L’historien de l’art sera donc plus sensible aux différentes notices d’œuvres, reprenant la synthèse du catalogue raisonné avec la description du « modèle », l’« historique » de l’acquisition de la toile, ses « expositions » successives et des « extraits documentaires » issus d’articles d’époque et de notices de catalogues. La rigueur historiographique, qui demanderait notamment la pagination des articles cités et des entrées bibliographiques plus précises (avec cependant une bibliographie finale très riche des ouvrages et catalogues de l’artiste), prend la forme de mentions documentaires plus homogènes et agréables à la lecture. En ce sens, si fortune critique il y a, elle se retrouve dans une littérature mondaine parfois désuète, signée dans le meilleur des cas par Jean Lorrain ou Robert de Montesquiou, sinon par des proches de l’artiste ou d’autres figures fin-de-siècle oubliées.

 

Les origines étrangères espagnoles, mexicaines et américaines font de La Gandara, né à Paris en 1861, un artiste atypique dans le Paris fin-de-siècle. Son passage aux Beaux Arts de Paris en 1878, auprès de Gérôme et de Cabanel, se fait sans heurt. C’est surtout au contact de la bohème du Quartier Latin et de Montmartre que l’artiste puise un style réaliste, assuré et incisif. L’un des rares portraits sur Rodolphe Salis, cet Hydropathe chantre du Chat Noir, s’éclaire ainsi à la lumière de leurs relations amicales. Toute une nouvelle génération d’artistes alimente les Salons de la Société des artistes français des années 1890, mais aussi se retrouve dans la vague symboliste idéaliste suivante. C’est sur ce point que l’historiographie actuelle de l’art tend à réévaluer le mouvement symboliste, occulté par la dernière exposition impressionniste de 1886, l’éclectisme des Salons des années 1890 et les explorations postimpressionnistes menant inexorablement au Salon d’Automne de 1905. On comprend ainsi ce qui fait le style de La Gandara, illustratif, sombre et réaliste, issu des méthodes de l’académie, combiné à une certaine acuité lui permettant de capter la psychologie de ses modèles et que l’on retrouve dans ses portraits-charges réalisés au Chat Noir. Or, si cette génération passe d’une gauloiserie liquidant l’héritage décadent à un idéalisme symboliste, La Gandara suit un autre chemin, plus mondain, grâce à la rencontre avec son futur mécène en 1885, le comte Robert de Montesquiou. Ce passage d’un état d’esprit bohème à un idéalisme mondain reste encore à définir.


Le deuxième chapitre décrit la vie d’un artiste ancré dans le milieu journalistique fin-de-siècle, devenant l’illustrateur et le collaborateur de nombreux titres comme Fémina, La Plume ou Comoedia. La Gandara fit ainsi le portrait de l’épouse de Marcel Ballot, directeur du Figaro ou celui de l’épouse d’Arthur Meyer, le directeur du Gaulois. L’artiste est surtout connu pour ses portraits de Montesquiou, de 1887, et de son compagnon Gabriel d’Yturri, une année auparavant, fréquemment mentionnés dans la littérature critique sur Marcel Proust. On attend beaucoup sur ce point de cette monographie qui, malgré l’abondante recherche, reste parfois confuse, n’arrivant pas à démêler l’autonomie créative de la simple commande issue d’amitiés. Xavier Mathieu souligne d’ailleurs cette difficulté : « La Gandara était un être sensible, généreux, et l’on peut se demander qui l’on doit admirer le plus, de l’homme ou de l’artiste ? » (p. 65). L’auteur nous fait partager néanmoins certains détails dans la production du portrait du comte. Le peintre signale son impossibilité à « changer le fond et le costume tout en gardant la tête, les mains et la signature » (citation tirée du fonds Montesquiou, Bibliothèque nationale), afin d’être proche du portrait en pied du docteur Pozzi. Les demandes originelles du comte, ses appréciations sur le choix de la tenue et de la pause, les aléas de ses multiples collaborations avec le peintre, déjà documentées dans l’ouvrage d’Edgar Munhall (Whistler et Montesquiou), auraient été les bienvenues. On y apprend cependant que La Gandara servait de substitut à Montesquiou, quand ce dernier ne pouvait pas poser (p. 114).


De même aurait-on souhaité en savoir plus sur le portrait de Jean Lorrain (1898), qui atteste d’une certaine dose d’empathie proche de la caricature, en affichant les signes distinctifs de la frivolité outrancière du personnage, avec les doigts pleins de bijoux, le visage maquillé et la chevelure teinte au henné, contrastant avec la sobre mise en scène. L’auteur place en regard une illustration d’André Rouveyre, dont il ne signale ni la date ni la source, et qui caricature l’artiste et son modèle. On appréciera ainsi l’introduction de productions visuelles populaires, tout en regrettant l’absence de commentaire permettant d’expliquer le possible contexte narcissique de la commande révélé par la caricature, et la distance critique dont fait preuve La Gandara dans ce contexte précis. Lorrain brille dans ses chroniques du Pall Mall, mais incarne aussi une décadence fin-de-siècle mise à mal par les discours conservateurs.


Les riches réseaux de sociabilité, issus des dîners littéraires, des spectacles et des expositions, attestent de nombreux transferts artistiques. Après un bref chapitre sur ces différents lieux de création, illustrés par de nombreux clichés photographiques de ces ateliers devenus lieux de rencontre à la mode, et notamment celui de la rue Monsieur-Le-Prince, l’auteur s’intéresse à l’art du peintre, dominé par ses portraits féminins. L’artiste acquiert une solide notoriété de peintre commercial, vendant ses toiles au même prix que celles de Boldini, Blanche ou Carolus-Duran. Sa technique et son style réaliste n’évoluent guère au début du XXe siècle, à l’image de la série de reproductions (p. 126-127) de portraits de commande, à la pose systématique de profil et aux tenues de soirée dans l’esprit du renouveau Rococo. L’historien de la mode sera à ce sujet particulièrement attentif aux réflexions menées à l’époque par cette génération de peintres soucieux de continuer d’exercer l’art du portrait de femmes, au moment où les particularités du vêtement féminin s’estompent au profit d’une rigueur fonctionnelle.


Notons plus particulièrement la diffusion du portrait de Jeanne Salvator, habillée par le célèbre couturier Jacques Doucet et qui fait la couverture du Figaro illustré de 1902, tout comme celle du présent ouvrage. L’attitude boudeuse, alanguie sur une méridienne, de la femme du critique d’art Rémy Salvator, sera reprise pour le journal Les Modes de 1903. La Gandara sera surnommé pour ce portrait le « Whistler de la décadence, un témoin indiscret de nos neurasthénies » (Fémina, 1er mai 1902, par Maurice Guillemot, p. 160). Sans juger de la qualité d’orfèvre du peintre, esquissant la superposition de tissus bien trop ternes pour rendre hommage à leur fluidité, on appréciera avec ce type de portait certaines limites du travail monographique. Destiné à l’illustration mensuelle de journaux collant à l’actualité d’une mode qui se démode, cette peinture résiste mal à l’appréciation historique. Il devient le simple témoin d’une réalité matérielle passée. Une mise en rapport contextuelle, permettant de rapprocher peinture et objet vestimentaire, personnalité du modèle et consommation de mode, aurait donné une plus grande pertinence à l’objet. De même, lorsque La Gandara fonde l’association des peintres costumiers de la femme, qu’il préside en 1913, dénonçant la baisse de qualité des couturiers parisiens, notamment dans l’usage de la jupe et des coupes plus étroites, la curiosité cède à la frustration, afin d’en apprendre davantage sur ce groupe peu connu composé d’illustrateurs fin-de-siècle tels Willette, Métivet, Anquetin ou Roubille. La réévaluation historique ne peut se faire qu’à l’aune d’un déplacement des catégories de lecture et des critères d’évaluation, pour éviter de nouvelles doxas antimodernistes en histoire de l’art.


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