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C’est à partir de 1894 que l’on retrouve dans le Journal des Goncourt qu’Antonio de La Gandara est un habitué du célèbre Grenier.


On y observe que la séduisante Madame de La Gandara ne laissait pas indifférent Edmond de Goncourt et que La Gandara s’épanchait sur ses malheurs conjugaux en toute amitié avec son hôte du 53 boulevard de Montmorency.


Le Journal des Goncourt


Mardi 30 janvier 1894

Dîner chez les Lorrain, avec le ménage La Gandara, Henri de Régnier, etc.

Une beauté tout à fait gozzolienne, cette Mme de la Gandara, avec ses beaux yeux songeurs au grand blanc, l’ovale long de sa figure, les lignes pures de son nez, de sa bouche, la délicatesse extatique de sa physionomie, ses blonds cheveux lui tombant en ondes dépeignées le long de la figure, comme les cheveux d’une Geneviève de Brabant, enfin avec ce caractère d’une tête où la nature s’associe au coquet effort de se rapprocher des Primitifs et qui lui donne, dans de la jeune vie, le charme archaïque d’une tête idéale d’un vieux musée. Et le cou un peu décolleté, sans un bijou, sans une fanfreluche qui distraie le regard, elle est habillée d’une robe de satin blanc, toute plate, toute collante en formes, avec seulement au bas cinq ou six rangs de petites ruches qui font un remous de luisants et de reflets de soierie à ses pieds. Gandara tout en étant simple, naturel, est un monsieur distingué, qu'on sent en rapport avec les gens du vrai monde. Dans sa causerie sur la peinture, où ses trois admirations semblent se porter sur Rembrandt, Velasquez, Chardin, il a une expression caractérisant bien le premier et le dernier, quand il dit: 'Chez Rembrandt, c'est une lumière d'or, chez Chardin, une lumière d'argent.'


Mercredi 18 avril 1894

Lorrain m’amène le ménage Polignac pour voir mes bibelots (...). J’ai chez moi, en même temps qu’eux, les Gandara, dont la femme est vraiment adorablement jolie avec son type de Primitif modernisé. C’est chez elle un vrai et sincère goût du bibelot et elle prend un tel plaisir à les voir, à les manier, qu’elle me dit ingénument à la porte : ‘Puis-je revenir sans mon mari .’


Mardi 24 avril 1894

Le vernissage du Champs-de-Mars. (...) Je rencontre Raffaëlli, Rosny au bras de Guillaume, Helleu, Blanche, La Gandara, Montesquiou-Fezensac, qui m’emmène voir son portrait de Whistler, portrait dans lequel je trouve une facture merveilleuse du vêtement, mais un faire très inférieur dans la figure au dessin escamoté, dans les carnations tristes, sales, barboteuses. En sortant, La Gandara me fait conduire jusqu’au Trocadéro, me confessant son état nerveux, qui le rend incapable de travailler pendant toute la semaine de l’ouverture d’une exposition, m’avouant envoyer sa bonne, tous les matins, dès potron-minet, acheter tous les journaux et, les journaux apportés, vouloir anxieusement découvrir d’un seul coup d’œil si son nom y est.


Dimanche 13 mai 1894

En passant en revue les ménages que nous avions sous les yeux, nous parlions des assez vilains ménages de la littérature, et je lui disais que je ne connaissais de jolis ménages que chez les peintres comme le ménage Helleu, comme le ménage de la Gandara. (...) 


Samedi 2 juin 1894

Déjeuner chez Lorrain, avec Maurice Barrès, le ménage La Gandara, la baronne Deslandes depuis son divorce - qui arrive à une heure passée. Ici, je retrouve La Gandara, auquel le retard de la comtesse Fleury a fait manquer une séance et a donné une migraine qui l’empêche de travailler. Il m’emmène voir le portrait de ladite, qui est au Salon, et dans un décolletage où la robe s’arrête sous les aisselles, et la femme ainsi à demi nue. Il me dit qu’elle reçoit le plus souvent le soir, dans des robes de couleur chair qui la font paraître toute nue. Et il me donne ce détail sur sa coquetterie : il a dîné un jour chez elle où elle avait un bouton à la lèvre, et elle est descendue avec une rose qu’elle tenait devant sa bouche, n’a pas dîné, l’a gardée, cette rose jusqu’à minuit. Puis nous voilà devant le portrait de la princesse de Chimay, qu’il a décidée, sans trop d’éloquence, à poser sans jupon, une chemise seulement sous la robe blanche qui la moule, et où il a vraiment rendu - ce qui était son ambition - le nacré de cette blanche et presque transparente rose.


Mardi 3 juillet 1894

La Gandara, qui assistait à l’enterrement de Carriès et n’a pu déjeuner, m’apporte le portrait de Lorrain qu’il a bien voulu faire sur le volume des BUVEURS D’AMES. Il est très peiné, laissant échapper à voix basse : ‘C’était mon plus intime ami !’ 


Dimanche 11 novembre 1894

Ouverture du Grenier. Lorrain, Primoli, Geffroy, Carrière, Ajalbert, Toudouze, de la Gandara, Montesquiou, Rodenbach, Daudet et sa femme…

Vendredi 14 décembre 1894

Aux curieux d'art et de littérature qui dans le XXe siècle s'intéresseront à la mémoire des deux frères, je voudrais laisser un inventaire littéraire de mon Grenier  destiné à disparaître après ma mort. Je voudrais leur faire revoir, dans un croquis écrit, ce microcosme de choses de goût, d'objets d'élection, de jolités  rarissimes, triés dans le dessus du panier de la curiosité. Des trois chambrettes du second de la maison, dans l'une desquelles est mort mon frère, il a été fait deux pièces dont la moins spacieuse ouvre sur la grande, par une baie qui lui donne l'aspect d'un petit théâtre dont la toile serait relevée. (...)  Mais la curiosité grande des deux pièces c'est la réunion dans une vitrine des portraits des littérateurs amis, des habitués du Grenier, peints ou dessinés sur le livre le mieux aimé par moi et dont l'exemplaire est presque toujours en papier extraordinaire et renfermant une page du manuscrit autographe de l'auteur.


- Jean Lorrain, peint à l'huile par la Gandara (1894), sur un exemplaire des BUVEURS D'AMES.

- Montesquiou-Fezensac, peint à l'huile par de la Gandara (1893), sur un exemplaire du beau livre des CHAUVES-SOURIS: portrait rendant bien la silhouette et le port de tête du poète (…).


Dimanche 30 décembre 1894

Le peintre de la Gandara me parle du Musée des robes de quelques-unes de nos élégantes contemporaines, et particulièrement des robes de la comtesse Fleury, robes de gaze aux orchidées brodées, qui la font ressembler à une odalisque de cirque. Il vient de terminer un portrait lithographique de la comtesse de Polignac, en robe de velours noir, dont il est très content, me disant que les portraits qu’il fait sont tirés à une douzaine d’exemplaires, qui sont retenus par des amateurs, parmi lesquels il nomme le docteur Pozzi. Sur le nom de Verlaine, que je disais ressembler à un faune kalmouk, il me dit l’avoir rencontré avant-hier complètement saoul et faisant, par sa conversation animée avec une femme, un attroupement autour de lui dans la rue; et devant l’espèce de peur que la femme avait sur la figure, il demandait à Verlaine ce qui se passait; le poète lui disait qu’il était en train de lui raconter Othello.(...)


Dimanche 26 mai 1895

Puis l’on cause de Lorrain, et La Gandara, qui a été le voir à la maison de santé de Pozzi, dit qu’il souffre mort et passion de ses pansements.


Dimanche 17 novembre 1895

Dites donc, Helleu, est-ce vrai que de la Gandara a divorcé ?

- Je le crains ... Cet été, il aurait rencontré un de mes amis, auquel il aurait dit : ‘Ne vous mariez jamais, jamais...’ Mais tenez, voici ce qu’on raconte. Mme de la Gandara avait des relations avec un monsieur, un monsieur qui lui donnait de l’argent, qui la mettait même à porter des robes de grands faiseurs. Une bonne renvoyée a adressé une lettre anonyme à son mari, qui l’a surprise avec le monsieur, a gardé un enfant et l’a renvoyée avec le dernier.

- C’est curieux, elle avait un visage d’ange...

- A jeun, oui. Mais quand elle avait pris de la nourriture, bu du champagne, ses yeux s’allumaient de lueurs d’un ange pervers.


Dimanche 22 décembre 1895

Entre chez moi de la Gandara, la figure toute jaune, les traits contractés par le chagrin et qui, à peine s’est-il laissé tomber sur un divan, se met à me parler de son divorce, avec l’accent d’un homme qui aimerait encore sa femme et qui serait désespéré d’en être séparé. Sur ce que je lui parle de sa beauté, qui avait le caractère d’une beauté toute de douceur et de tendresse, il avoue cette douceur, et d’un caractère de caresse vraiment inexprimable, mais seulement les jours où il était malade, où il avait la migraine; mais que les autres jours c’étaient des scènes du matin au soir, des scènes où les éclats de sa voix aggravaient l’état de son père, qui avait une maladie de cœur, qu’enfin, c’était une pure détraquée, qui s’était jetée à la Seine il y a trois ou quatre ans. Enfin, il assure avoir saisi un brouillon de lettre, qui révélait une liaison qu’elle aurait avec quelqu’un. Et il dit les déchirements de cœur qu’il a éprouvés devant la désolation de sa petite fille, qui adore sa mère et qui voudrait les faire revivre ensemble, et raconte une scène bien éprouvante de ces derniers temps où, étant en visite en même temps que sa femme au couvent de l’Assomption et ayant emmené l’enfant faire un tour de promenade dans le square d’à côté, la petite de ses deux bras entourant les corps de son père et de sa mère, s’efforçant de les rapprocher dans une réconciliation. 


Dimanche 26 avril 1896

De la Gandara arrive le premier au Grenier, et se trouvant en tête-à-tête avec moi seul, bientôt, il me parle de sa femme, de la réattaque soudaine d’amour qui s’est faite chez lui pour elle, en la voyant si jolie, qu’il l’a entrevue, le jour du vernissage - et il se lamente sur sa faiblesse pour tout ce qui n’a pas rapport à son métier, à la peinture. Et m’avouant qu’il n’a aucun doute sur son cocuage, que dans la lettre qu’il a surprise, la femme s’offrait à aller rejoindre le monsieur, qui, sans doute, est le père de son second enfant, il se compare au buveur d’absinthe auquel on a dit que cela le tuera et qui va à la bouteille quand même, ainsi que lui se sent vouloir aller à sa femme. Et après cet aveu, il reste un grand moment silencieux comme s’il vous interrogeait, comme s’il vous demandait ce qu’il doit faire. Et comme je lui dis que dans les questions de cœur, on ne doit prendre conseil que de soi-même, il s’écrie ‘Oh ! si je me remets avec elle, j’aurai un mois de bonheur inexprimable... Mais le restant de la vie avec son caractère, son déséquilibre, ce sera un enfer!’ Et il demeure à soupeser dans sa pensée, à soupeser la volupté de ce mois contre toute une vie à vau l’eau.


Dimanche 3 mai 1896

Je déjeune avec la jolie Mme. de la Gandara (...) Puis il est question du portrait de la Gandara, représentant Mme Beer, la Juive chez laquelle est mort Leconte de Lisle et qui aurait une très belle peau…


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